2 Août 1998 Genocost en Rdc: Témoignage troublant d’une épuration des populations congolaises par le Rwanda avec la complicité des compatriotes congolais
2 août 1998 : les principales villes de l’est de la RD Congo (Goma, Bukavu et Uvira) assistent à la naissance d’une nouvelle rébellion conduite par d’anciens alliés du Président Laurent-Désiré Kabila. Goma tombe le même jour, sans aucune résistance. A Uvira, l’armée Congolaise (FAC) résistera pendant 2 jours, avant de décrocher le 4 août. A Bukavu, environ 80 officiers militaires sont tués à bout portant à l’aéroport de Kavumu le 2 août, avant que la ville ne tombe le lendemain. C’est le MASSACRE DE KAVUMU.
Je vous propose ici le témoignage écrit par un rescapé du massacre de Kavumu.
Ce dimanche 2 août 1998, alors que j’étais à mon bureau du Quartier Général de la 222ème Brigade d’Infanterie, j’apprends qu’une réunion tenue à Cyangugu [Rwanda], la veille, avait regroupé tous les grands officiers de la Brigade ainsi que d’autres, venus d’Uvira et de Goma. Nous venons de toucher notre solde et personne ne nous rapporte ce qui s’est dit dans ladite rencontre. Les collègues m’ont chargé d’aller recouvrer les créances auprès de certains soldats du bataillon de Nyangezi, à 25 km au sud de Bukavu, qui doivent à la mutuelle des officiers. Dès que j’y arrive, je suis frappé par la quantité inhabituelle d’armes lourdes déployées partout, au bord de la route, dans les bananeraies et derrière les maisons, sur ordre du Commandant du bataillon local, un Munyamulenge du nom de Budurege. Je constate tout de suite que seuls les Banyamulenge sont armés, ce qui me surprend également au plus haut point.
La nuit est déjà tombée quand je décide de rentrer à Bukavu. Je demande un véhicule au Commandant Budurege, il refuse et essaie plutôt de me convaincre de passer la nuit à Nyangezi. Une sorte d’intuition me dit de quitter cette localité au plus tôt. Heureusement un taxi-bus arrive et le chauffeur accepte de me prendre jusqu’à Bukavu. Vers vingt heures, des amis viennent me prendre pour m’amener partager un verre à la Kermesse. Nous n’étions pas encore arrivés Place de la Poste où se tient la kermesse quand nous entendons des rafales d’armes automatiques venant de tous les coins de la ville. Nous demandons des nouvelles par talkie-walkie aux officiers, mais personne ne peut nous répondre de manière satisfaisante. Quelques instants après, nous sommes aux environs du QG quand plusieurs soldats en formation de combat arrivent à pied, revenant du centre-ville. Ils nous apprennent que le Commandant Brigade Tshapul Mpalanga est en résidence surveillée, sans rien nous dire d’autre. Nous jugeons bon de passer tous ensemble la nuit au QG. Je fais libérer les soldats détenus dans les cachots du QG et ordonne à tout le monde de se tenir prêt à toute éventualité.
Un peu plus tard, le Commandant Sion Malekera m’appelle sur mon motorola et demande qu’on lui envoie, par porteur, les dossiers qui sont sur la table de son bureau. Je lui réponds que personne n’osera sortir pour s’exposer parce que nous continuons à entendre des tirs de plus en plus proches. Il nous explique alors que le régime a changé et que le nouveau président de la République est attendu, avec les membres du nouveau gouvernement. Ceux-ci viendront par Cyangugu au Rwanda. Il nous conseille ensuite de rentrer chez nous. Nous ne faisons rien.
Vers le milieu de la nuit, le capitaine Bolika Mavungu, chargé de la logistique pour la ville de Bukavu, nous réjoint et nous apprend que les soldats rwandais sont dans la ville et que nous devrions, le lendemain, nous rassembler à l’aéroport de Kavumu pour y accueillir des renforts en hommes et en matériel de guerre en provenance de Kinshasa en vue de parer à l’attaque des rwandais. Je lui dis tout de suite mon scepticisme face à l’avenir immédiat, lui faisant comprendre que je dois, avant toute chose, mettre ma famille en lieu sûr. Nous partons avec sa camionnette chez moi et je prends ma femme et mes enfants pour les déposer dans la commune de Bagira, chez ma sœur.
Après cela, nous décidons de nous rendre cette nuit-là même, à Kavumu, pour voir les préparatifs d’accueil des renforts attendus le lendemain. Arrivés au village de Miti, des gens que nous ne voyons pas à cause de l’obscurité tirent sur nous, embusqués dans les bananeraies. L’un des soldats qui nous accompagne à l’arrière de la camionnette, est blessé. Nous ripostons, et sans nous arrêter à Kavumu, nous fonçons vers l’hôpital de la Fomulac, à Katana, pour y laisser le blessé. Nous reprenons le chemin de l’aéroport; nous y retrouvons le Commandant de bataillon Mutshapa, le Commandant de la logistique Juvénal Kachungunu et quelques autres officiers. Bolika explique les raisons de notre arrivée tardive en insistant sur les tirs que nous venions d’essuyer à Miti et notre détour par Fomulac-Katana. Kachungunu dit à Mutshapa de lui donner deux ou trois compagnies de soldats pour qu’il aille voir qui tire à Miti, mais ce dernier refuse, arguant que le Commandant Brigade a donné ordre à tout le monde de rester à l’aéroport. Fatigué, je m’endors tant bien que mal dans la cabine de la Hilux avec le lieutenant Bilembo. Pendant ce temps, les autres officiers s’en vont se divertir dans la cité toute proche, malgré la gravité de la situation, laissant les centaines de soldats passer le reste de la nuit chacun comme il l’entend.
Lundi 3 août, il est sept heures du matin, nous attendons toujours les ordres et les renforts, depuis l’aéroport de Kavumu. Le Commandant Bolika prend un canon 7.5 et quelques soldats à bord d’un camion; il veut aller voir qui a tiré sur nous la nuit, à Miti. Sur place, la population nous dit qu’il y a effectivement des soldats Tutsis qui ont passé la nuit dans les bananeraies et qui se sont dirigés, très tôt, vers Chivanga, à l’entrée du Parc national de Kahuzi-Biega. De retour à Kavumu, nous apprenons que le Commandant Tshapul vient d’envoyer un ordre nous intimant de venir l’attendre à Amsar, à une quinzaine de kilomètres de Bukavu, avant Miti. Nous embarquons dans tous les véhicules disponibles et rebroussons chemin vers Bukavu. Arrivés à Amsar, nous y rencontrons le Commandant Brigade à la tête d’une compagnie entière du 106ème Bataillon sous le commandement du Capitaine Musemenge.
Tshapul nous informe qu’il n’a pas encore établi de communication avec Kinshasa. Bolika, Bilembo et moi décidons d’aller demander de l’essence aux prêtres du couvent de Murhesa, très proche de l’endroit où nous nous trouvons avec le Commandant Brigade. En cours de route, nous sommes alertés par des paysans qui nous affirment que des soldats suspects circulent dans les environs. Effectivement, quelques temps après, alors que nous sortons de chez les prêtres, nous tombons dans une embuscade de soldats rwandais qui canardent notre véhicule; ils sont une trentaine. Notre camionnette est criblée de balles mais miraculeusement aucun de nous trois n’est blessé. J’ai eu le temps de dégainer ma kalachnikov et de tirer dans le tas.
A Amsar, des soldats nous attendent pour nous dire que nous devons rejoindre le Commandant Brigade et tous les autres à l’aéroport. Arrivés à Kavumu, nous sommes étonnés en voyant Tshapul qui essaie d’obliger un groupe d’officiers de déposer leurs armes. La plupart obtempèrent à l’exception de son Secrétaire particulier, Epelela et du Chef Logistique, Juvénal Kachungunu; ils lui tournent le dos et s’en vont. C’est ce geste qui les aura sauvés.
En effet, sur la piste d’atterrissage, un groupe de soldats, pour la plupart des rwandais, fait face à un autre composé principalement de congolais. Entre les deux groupes, se tient Tshapul, entouré de Sion Malekera, Thierry Ilunga, Kilofuka et de Mutshapa. Deux infirmiers militaires se trouvent dans le groupe des congolais; Tshapul leur demande d’ôter leurs blouses, les fixe au bout de deux bâtons en appelant au calme. Il avait senti que la tension commençait à monter et que les soldats congolais se doutaient maintenant de quelque chose. Puis tout se passe très rapidement, le groupe des Rwandais ordonne aux congolais de garder les mains en l’air, ayant déjà déposé leurs armes sur instructions de Tshapul. Les rwandais ramassent les armes, et ordonnent à tous les soldats désarmés de s’allonger à même le sol. Nous sommes fouillés l’un après l’autre; un de ces soldats rwandais s’empare de ma montre et des 640 francs congolais qui m’avaient été remis à Nyangezi pour la mutuelle des officiers.
Nous sommes tous couchés sur le dos, les mains sous la nuque, exceptés Tshapul, Malekera, Kilopoka, Ilunga et Mutshapa ainsi que trois officiers de l’APR que je n’avais jamais vus et que je ne reverrais plus jamais. Le Commandant Kifuita, Chef du Personnel de la Brigade, se met à pleurer, suppliant qu’on lui laisse la vie en échange d’un sac plein d’argent qu’il a laissé dans sa voiture, à quelques mètres de là. Le Commandant Eric, rwandais, fils de Kasongo Kayijamahe, propriétaire de l’hôtel Tanganyika de Bukavu, sort son pistolet et tire une balle dans l’oreille de Kifuita; celui-ci s’écroule.
Nous ne bronchons pas et restons couchés pendant que Tshapul, Ilunga et Malekera se retirent au milieu de la piste d’aviation. Après quelques instants de conciliabule, ils reviennent. Ils nous ordonnent de nous relever, ce que nous faisons avec empressement. Nous sommes divisés en trois groupes, les officiers d’un côté, les ex-FAZ de l’autre et les kadogos, au milieu. Obéissant à je ne sais quel instinct, je me mets dans le groupe des kadogo, ce qui ne m’est pas difficile à cause de ma petite taille.
Tshapul nous dit de nous déshabiller et de jeter nos vêtements loin de nous. En un clin d’oeil, nous sommes tous en caleçon. Nouveau conciliabule autour de Tshapul, pendant lequel, les rwandais nous obligent à chanter des chants religieux. Cela dure une quinzaine des minutes, puis Tshapul et ses hommes reviennent. Il doit être environ onze heures.
De nouveau on sépare, par catégories, le groupes des officiers : les chefs de peloton, les chefs de section, les infirmiers, les administratifs… Moi je reste toujours dans le groupe des kadogos. On nous ordonne de chanter la chanson militaire « Tunapangia wajinga », une chanson qu’on apprenait aux soldats en formation. Tshapul ne dit rien, même quand un des officiers rwandais nous dit de faire notre prière car notre dernière heure est arrivée.
Le Commandant Eric dit à un autre officier rwandais de faire avancer quarante kadogo avec leurs armes : le massacre commence. On débute par les officiers. Eric lui-même donne les ordres : il fait sortir les officiers des rangs par groupe de dix, fait signe aux kadogo qui tirent dans le tas. Quatre vingt-six officiers meurent en moins de cinq minutes. Ensuite, ils nous regroupent ensemble, ex-FAZ non officiers et kadogo et nous ordonnent de continuer à chanter.
Un rwandais passe au milieu des cadavres avec son revolver et tire sur tout officier qui semble être encore en vie. Ensuite, il s’avance vers nous. Il est rejoint par un jeune soldat de l’escorte de Tshapul. Ce dernier pointe du doigt les ex-FAZ et toute autre personne qui ne lui plait pas. A chaque fois que le jeune homme montre quelqu’un du doigt, le rwandais lève son pistolet et l’abat. Arrivé devant moi, le jeune soldat me pointe du doigt puis se ravise immédiatement et désigne celui qui est à mon côté. Il m’a bien regardé dans les yeux et un éclair est passé dans son regard, comme s’il m’avait reconnu. La piste n’est plus qu’une mare de sang, un amas de cadavres. L’holocauste a duré une trentaine de minutes. On nous dit de nous rasseoir par terre.
Une demi-heure après, un soldat Munyamulenge, de la famille du Vice-Gouverneur Benjamin Serukiza, avec qui j’avais souvent partagé un verre, me tire à côté pendant que les autres ont le dos tourné. Il me fait monter dans sa Land-Rover et me remet une tenue militaire qui était sous le siège du conducteur. Il me dit de faire comme si j’étais son garde du corps en me confiant que j’avais de la chance car nul ne devait échapper au carnage. Quand il se rend compte que les autres sont distraits, il m’amène à l’écart et m’enferme dans un des conteneurs vides de l’aéroport, en promettant de venir me chercher plus tard.
Il revient effectivement à la nuit tombée, me fait sortir et m’informe que les corps ont été enterrés au bord de la piste, d’autres brûlés à l’essence. Tshapul, Ilunga et Malekera sont déjà rentrés à Bukavu. L’officier me remet dans le groupe des soldats restés vivants à l’aéroport, en assurant qu’il reviendrait me prendre. Quelques heures après le départ de mon « sauveur », un officier tutsi passe et demande à tous ceux d’entre nous qui savent lire et écrire de lever la main. Une fois de plus, une force inexplicable m’empêche de le faire. D’autres lèvent leurs mains espérant trouver ainsi le salut. Ils sont écartés du groupe et rangés à part. Parmi eux, ceux résidant à Bukavu sont triés et amenés devant les hangars de la Régie des Voies Aériennes.
Moins de cinq minutes plus tard, de longues salves de mitraillettes crépitent, suivies de cris horribles. Je profite de l’obscurité et de la distraction de l’unique gardien resté pour nous surveiller et je m’éclipse discrètement dans les champs de manioc jouxtant la piste; je rampe jusqu’au bord d’un ruisseau où je reste étendu toute la nuit sans bouger ni faire le moindre bruit. Durant tout ce temps, les fusillades continuent du côté des hangars de l’aéroport.
Aux premières lueurs de l’aube, je m’avance prudemment à travers champs et bananeraies jusqu’à Kavumu village. Je pénètre dans un enclos, fonce dans une hutte d’où sort de la fumée; un vieux assis devant un feu de bois est surpris, et prend peur, en voyant un soldat faire irruption chez lui, tout sale. Je le tranquillise, prend place au coin du feu et me mets à lui expliquer ce qui m’est arrivé.
Le vieux est pris de pitié; il a entendu toutes les fusillades de la veille et de toute la nuit. Il m’offre l’hospitalité et me prie de rester caché chez lui jusqu’au jour où je pourrais juger de partir sans peur.
Deux jours après, le mercredi 5 août, je décide de partir. Je ne peux aller en tenue militaire; le vieux me donne des vêtements sales, un vieux manteau en lambeaux et un chapeau en paille fatigué. Il me prête une houe ébréchée et m’accompagne jusqu’à Kazingo, à l’entrée de Bagira. Il récupère la houe et rebrousse chemin. C’est ainsi que, déguisé en cultivateur, j’arrive à Bagira le soir, affamé, assoiffé, exténué.
Une semaine après la « libération de Bukavu », le lundi 10 août, tous les soldats de la garnison sont convoqués à une prise d’armes au Camp Saïo. Je m’y rends. Tshapul sursaute en me reconnaissant au moment où je le salue. Il tente de m’intimider sous prétexte que je me présente sans arme à la parade. Je lui demande par quel miracle je pouvais encore avoir un fusil après ce qui s’est passé à Kavumu. Il me fait signe de ne jamais rien dire à personne. Après la prise d’armes, il m’ordonne de monter dans son véhicule et me dépose devant la Place de l’Indépendance. Il me remet trois billets de cent dollars et m’assure que je peux toujours lui demander n’importe quel service, il le fera.
Après plusieurs semaines, j’ai su que Juvénal Kachungunu et Epelela avaient réussi à s’enfuir, faisant le pied de Kavumu jusqu’à Kindu en passant par Bunyakiri. De Kindu, chef-lieu du Maniema, le Général Kalume qui y commandait l’armée régulière, les avait mis dans un avion militaire jusqu’à Kinshasa