Salomon Kalonda, dernier des cas emblématiques : apaiser le climat politique dans la poudrière katangaise devient une nécessité(Tribune)

Salomon Kalonda

Salomon Kalonda, dernier des cas emblématiques : apaiser le climat politique dans la poudrière katangaise devient une nécessité(Tribune)

C’est à un diagnostic sévère, sans complaisance, que s’est livré le chef de l’Etat en personne. Le samedi 8 juillet, Félix Tshisekedi répondait aux questions de la population en direct à la télévision. Dans son franc-parler, il avoue alors sans ambages l’échec du quinquennat : la justice. Une justice censée sévir contre tous avec équité et dans la vérité, mais qui est irrésistiblement engagée dans la double vitesse, la géométrie variable et le deux poids deux mesures. Si à certains on permet tout, d’autres, pourtant innocents, sont traînés dans les geôles sans cause. Dans le sud-est du pays, les Katangais sont sur les dents – qu’ils soient proches du pouvoir (UNAFEC) ou de l’opposition (Ensemble pour la République). A l’approche des élections, des ONG appellent les autorités du pays à apaiser le climat politique. Notamment en trouvant des solutions urgentes aux cas des personnes injustement détenues dans les différents cachots du pays.

Félix Tshisekedi n’a pas mâché les mots pour dire sa déception par rapport à la justice congolaise. «Je  pense que s’il y a un bémol sur mon bilan, je crois que c’est celui-là si on me demandait de le faire. Je ne suis vraiment pas satisfait du bilan jusqu’ici. J’ai beaucoup compté sur ce pouvoir parce que je me dis comme dans la Bible, c’est la justice qui élève une nation», a déclaré le président de la République. Avant de pousser son diagnostic plus loin : «Malheureusement, dans notre cas, la justice détruit notre nation. J’ai tout mis en œuvre pour essayer de faire comprendre, surtout au chef des corps mon intention, ma vision et en fait ma vision, c’est de dire voilà, c’est vous qui connaissez votre métier, exercez le consciencieusement (…). Malheureusement, je n’ai pas l’impression que nous sommes toujours sur le même diapason».

Les mots sont forts, de la part du magistrat suprême. Ce dépit du chef de l’Etat se vit par le peuple congolais et ce, quasiment sur l’ensemble du territoire national. Le cas de l’ex-Katanga où le feu des tensions diverses et des haines ataviques couve sous des tapis des bureaux lambrissés, dans une région qui, chaque jour qui passe, devient une poudrière. Le comble est que, ici, on enregistre des affrontements même entre alliés, provoquant mort d’homme. Le 8 juillet dernier, à Kilobelobe, en commune annexe de Lubumbashi, des militants de l’UNAFEC – l’ancien parti de Gabriel Kyungu wa Kumwanza qui rassemble des autonomistes Katangais résolus – avaient affronté ceux de l’UDPS – qui réunit essentiellement des jeunes venus de la région du Kasaï voisine – à cause d’une obscure affaire de taxe finalement interdite par la mairie, causant deux morts.

La tension menace d’exploser

Il fallut l’énergie et le tact du ministre de l’Intérieur du Haut Katanga, Éric Muta Ndala – lui-même issu de l’UNAFEC – pour mettre fin à ces attaques mortelles. A la surprise des militants de l’UNAFEC, c’est leur délégué au gouvernement qui se trouve maintenant convoqué par la Cour de cassation suite à une autre affaire pour le moins scabreuse : la société Maj Logistics Limited a déposé une plainte le 05 juillet dernier à l’auditorat supérieur près la Cour Militaire du Katanga contre certains officiers des Forces armées de la RDC. Selon cette correspondance, trois camions appartenant à la société Tenke Fungurume Mining et transportant les minerais de cuivre ont été arrêtés par certains agents pour les acheminer d’abord au ministère provincial de l’intérieur puis à la 22e région militaire des FARDC à Lubumbashi. Tous les trois camions ont été vidés de leurs contenus, poursuit cette plainte, «la nuit du 1er au 02 juillet dernier et les chauffeurs de ces véhicules acheminés en escorte vers Kasumbalesa pour faire disparaître frauduleusement les traces».

Dans les milieux de l’UNAFEC, la moutarde monte au nez, et la tension menace d’exploser. «C’est ahurissant ! Qu’est-ce que le ministre de l’Intérieur vient faire dans une affaire des militaires ? Depuis quand les militaires dépendent d’un ministre de l’Intérieur, de surcroît au niveau d’une province ?», interroge un cadre de l’UNAFEC. Aux rumeurs sur sa fuite présumée, Éric Muta Ndala a réagi en expliquant avoir obtenu les autorisations nécessaires du gouverneur pour partir en vacances avec sa famille – ce qui est normal en juillet, du reste. Il a promis d’écourter ses vacances pour regagner Kinshasa – ce qu’il a fait effectivement, car c’est depuis plusieurs jours qu’il se trouve dans la capitale congolaise.

«Comment une personne qui se rendrait coupable du vol de trois camions de cuivre viendrait-elle se livrer de la sorte ?», se demande un observateur. Les militants de l’UNAFEC y voient la main d’un haut magistrat affecté dans l’ex-Katanga, qu’ils accusent du reste d’être au centre de vols répétés de cathodes de cuivre, et d’avoir une libido débridée. Dans un audio qui a beaucoup circulé dans les réseaux, on entend un avocat qui l’accuse de s’être copieusement envoyé en l’air avec son épouse …  Et le fait qu’il soit originaire du Kasaï n’est pas pour arranger les choses pour les gens de l’UNAFEC.

Si déjà les Katangais de l’UNAFEC, pourtant alliés au chef de l’Etat, sont engagés dans un tel bras de fer qui peut exploser à tout moment, qu’en est-il du reste de la masse katangaise, celle qui représente la majorité silencieuse ? «Les Katangais se sentent persécutés, et en développent une rancœur. C’est une donne qu’il faut bien  prendre en compte», assure Claude Lumbu, entrepreneur basé à Lubumbashi. La recomposition de la majorité parlementaire en pleine législature qui a écarté la famille politique de Joseph Kabila du gouvernement avec la rupture de la coalition FCC-CACH, et les tentatives d’éliminer Moïse Katumbi de la prochaine présidentielle avec la proposition Tshiani sont perçues ici comme une volonté d’exclure l’élite politique katangaise du champ politique national.  

Et pour confirmer ces appréhensions, le président d’Ensemble est, depuis lors, en proie à diverses autres brimades. Le 23 mai, il se voyait interdire de se rendre au Kongo central par une cohorte de policiers lui barrant la route à l’entrée de Kasangulu. Cinq jours plus tard, c’est son bras droit et conseiller spécial Salomon Idi Dela Kalonda qui est brutalement enlevé à l’aéroport international de Ndjili, avant de se retrouver interné aux renseignements militaires. Le 21 juin, c’est au tour de Franck Diongo, allié politique de Moïse Katumbi, qui subit le même sort. Il a finalement été relaxé après 25 jours de détention, sans avoir été jugé, et sans savoir pourquoi il avait été mis aux arrêts.

Solution urgente

Si, côté pouvoir, les cas François Beya et Fortunat Bisele suscitent encore des interrogations quant au sérieux des services de sécurité du pays dans leur façon d’instruire les dossiers judiciaires, les dossiers des opposants Franck Diongo, Mike Mukebayi et Salomon Kalonda renforcent les inquiétudes sur la santé de l’état de droit. Pris aussi par les services de sécurité avant d’être mis à la disposition de la justice, le député provincial de Kinshasa/Lingwala, Mike Mukebayi, est écroué à la prison de Makala pour ses opinions politiques, alors que des membres et autres communicateurs du pouvoir tels que Justin Bitakwira, Joël Kitenge, Nadjibu Nyalamaba Hassan et autres, connus pour leur discours tribaliste et raciste, se la coulent douce.

Salomon Kalonda vient de totaliser 60 jours entre les mains de l’ex-Demiap et de la justice militaire sans procès. «Pourquoi et comment détenir sans jugement une personnalité accusée de vouloir renverser le régime de connivence avec le M23 et le Rwanda au profit d’un ressortissant Katangais ?» s’interrogent tous les observateurs avisés. De sources sécuritaires et judiciaires, la presse apprend que le dossier Kalonda est vide et met le pouvoir dans l’embarras après tout le spectacle indigne offert à la population. Après les perquisitions, la sortie de l’OPJ de l’ex-Demiap, la saisie de ses téléphones et de son coffre-fort, les enquêteurs n’ont trouvé rien de consistant qui puisse renforcer leurs accusations ou leurs soupçons. «Comment alors relâcher cet innocent sans se couvrir d’une forte dose du ridicule? Là est le dilemme cornélien», commente un confrère.

Dans un courrier adressé le 17 juillet dernier au président de la Commission nationale des droits de l’homme, avec ampliation au chef de l’Etat et à tous les responsables politiques et de l’appareil judiciaire, cinq ONG de défense des droits de l’homme, dont l’ACAJ de Georges Kapiamba, l’ASADHO de Jean Claude Katende, l’IRDH de Hubert Tshiswaka, la VSV de de Rostin Manketa,  Justicia Asbl de Timothée Mbuya, et les Amis de Nelson Mandela pour les droits de l’homme de Robert Ilunga appellent les autorités «à une solution urgente» pour un «apaisement du climat politique, préalable à la tenue des élections générales prévues en décembre 2023».

Citant une longue liste des personnes détenues aussi bien au CPRK que dans les cachots de l’ANR et de renseignements militaires, elles insistaient sur trois cas emblématiques : Fortunat Biselele, Franck Diongo et Salomon Kalonda. Les deux premiers ont bénéficié de leur libération, totale pour l’un, et provisoire pour l’autre. Il reste Salomon Kalonda.

Hemedi KUTEMA LULINDI

Analyste politique

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