Le Franc Congolais en Sursis : Une Appréciation Artificielle face à une Économie Structurellement Fragile

Tribune Libre

Le Franc Congolais en Sursis : Une Appréciation Artificielle face à une Économie Structurellement Fragile

Par John Dibenga, Entrepreneur et Observateur des Politiques Publiques

Kinshasa le 13 Octobre 2025

Une étrange euphorie gagne les marchés de change de Kinshasa. Depuis quelques semaines, le franc congolais (CDF) grignote progressivement la suprématie du dollar américain (USD). Pour le citoyen lambda, c’est un soulagement : le prix des produits importés, du carburant et des biens de première nécessité fléchit légèrement. Cette embellie monétaire est-elle le signe avant-coureur d’une économie congolaise enfin en bonne santé ? La réponse, hélas, est non. Il s’agit plutôt d’un répit temporaire, un « feu de paille » alimenté par les interventions de la Banque Centrale du Congo (BCC), mais qui se consume face aux réalités structurelles implacables de notre pays.

Le Mécanisme d’une Appréciation Pilotée

Ne nous y trompons pas. La vigueur actuelle du CDF n’est pas le fruit d’une soudaine prospérité nationale. Elle est le résultat d’une action volontariste et technique de la BCC. Cette dernière a dégainé plusieurs armes pour inonder le marché de dollars et booster la demande pour le franc congolais.

Première mesure phare : l’obligation pour les exportateurs, notamment miniers, de céder 30% de leurs recettes en devises sur le marché local. Cette décision a brutalement augmenté l’offre de dollars, faisant mécaniquement baisser sa valeur. Deuxièmement, la BCC a exigé que le paiement des droits et taxes s’effectue en monnaie locale. Cette mesure crée une demande artificielle mais puissante pour le CDF.

Enfin, la récente baisse du taux directeur de 25% à 17,5% a été perçue comme un signal de confiance. Pourtant, il faut la comprendre comme la détente d’un étau après une longue période de restriction monétaire qui étouffait le crédit aux entreprises. Ces actions combinées ont produit l’effet escompté : une appréciation du CDF. Mais ce succès technique masque une fragilité béante.

L’Illusion Monétaire face au Désert Productif

La force d’une monnaie doit, à terme, reposer sur la force de l’économie qu’elle représente. Or, que produisons-nous ? La République Démocratique du Congo reste le triste archétype de l’économie extravertie, intégralement dépendante de la vente de matières premières brutes. Cuivre, cobalt, coltan… Nos minerais quittent le territoire sans aucune transformation substantielle. Nous importons presque tout : du riz que nous pourrions cultiver aux voitures que nous ne fabriquons pas.

Cette dépendance crée une pression structurelle à la baisse sur notre monnaie. La demande de dollars pour importer est constante et vitale. Un ralentissement de la demande chinoise, une baisse des cours mondiaux des métaux, et le château de cartes s’effondrerait. Notre monnaie n’est pas soutenue par la valeur ajoutée d’une industrie nationale, mais par la volatilité des marchés internationaux des commodities.

Les Tares Structurelles : Le Chômage, l’Insécurité et la Corruption

Votre scepticisme est fondé. Comment une monnaie pourrait-elle être durablement forte dans un pays où le chômage et le sous-emploi frappent une large majorité de la jeunesse ? Une population sans revenu stable ne peut constituer un marché intérieur solide. La faible base taxable qui en résulte prive l’État des ressources nécessaires pour investir dans les infrastructures et les services publics, creusant le cercle vicieux du sous-développement.

Plus grave encore, comment bâtir une économie stable quand une partie significative de notre territoire, riche en ressources, est sous l’emprise de groupes armés et de forces d’occupation ? L’insécurité à l’Est paralyse le potentiel agricole, détruit les communautés et draine les finances de l’État en dépenses sécuritaires non productives.

Enfin, le cancer de la corruption et du détournement des deniers publics ronge les fondations de notre nation. L’argent qui devrait servir à construire des routes, des écoles et des hôpitaux fuit vers des paradis fiscaux. Cette hémorragie constante de capitaux, souvent en dollars, exerce une pression descendante permanente sur le franc congolais.

Conclusion : Une Bouffée d’Oxygène, pas une Guérison

L’appréciation actuelle du franc congolais est une bouffée d’oxygène bienvenue. Elle offre un répit aux ménages et aux entreprises écrasés par le coût de la vie. Il faut saluer la compétence technique de la BCC qui a su maîtriser temporairement le marché.

Mais prenons garde à ne pas confondre le symptôme avec la maladie. Cette embellie ne sera durable que si elle s’accompagne de réformes courageuses et profondes : diversification économique, promotion de l’industrie locale de transformation, pacification du territoire et une lutte sans merci contre la corruption.

Sans cela, la descente du dollar ne sera qu’une parenthèse. La réalité de notre économie structurellement faible finira par reprendre le dessus. La question n’est pas de savoir si le dollar remontera, mais quand. Le véritable défi n’est pas sur le tableau de la BCC, mais dans les champs inexploités, les usines à construire et dans l’instauration d’une gouvernance vertueuse. C’est là, et seulement là, que se bâtira la valeur réelle du franc congolais.

John Dibenga

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