Ce cri d’alarme de Human Right watch pour la libération de Stanis Bujakera et la fin des poursuites contre lui
Le journaliste le plus suivi du pays détenu depuis près de cinq mois dans un dossier éminemment politique
( Kinshasa) -Les autorités de la République démocratique du Congo devraient immédiatement libérer sans condition le journaliste de renom Stanis Bujakera et abandonner les poursuites engagées contre lui, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Bujakera est détenu depuis le 8 septembre 2023, d’abord en garde à vue puis à la prison centrale de Makala à Kinshasa.
Les autorités ont accusé Stanis Bujakera d’avoir fabriqué et distribué une fausse note des services de renseignement affirmant que les services de renseignement militaire congolais avaient tué un cadre de l’opposition, Chérubin Okende. Cette note de deux pages est à la base d’un article publié dans Jeune Afrique dont Stanis Bujakera n’est pas l’auteur. Le 2 février 2024, un tribunal de Kinshasa devrait se prononcer sur la nomination de nouveaux experts chargés d’authentifier la note.
« Près de cinq mois après l’arrestation de Stanis Bujakera par les autorités congolaises, l’affaire semble de plus en plus motivée par des considérations politiques et s’inscrit dans un cadre de répression contre les médias », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement abandonner toutes les poursuites engagées contre Stanis Bujakera, le libérer et veiller à ce que les journalistes puissent faire leur travail sans craindre d’être arrêtés ou harcelés par la justice. »
Stanis Bujakera, 33 ans, est directeur adjoint du média en ligne congolais Actualite.cd. Il est également reporter pour Jeune Afrique et l’agence de presse internationale Reuters. Il est le journaliste le plus suivi du pays sur les réseaux sociaux.
La police l’a arrêté le 8 septembre à l’aéroport de Ndjili à Kinshasa alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur un vol. D’abord placé en garde à vue, il a ensuite été transféré en prison le 14 septembre après avoir été inculpé de « propagation de faux bruits », « faux en écriture », « falsification des sceaux de l’État » et « transmission de messages erronés et contraires à la loi ». Il risque jusqu’à 10 ans de prison selon ses avocats.
Les autorités congolaises affirment que la note des services de renseignement en question est un faux document et accusent Stanis Bujakera de l’avoir partagée à partir de ses applications de messagerie. La note avait été présentée comme un document ayant fait l’objet d’une fuite dans l’article de Jeune Afrique. Le journaliste a ensuite été accusé d’avoir fabriqué la note et d’avoir falsifié la signature et le sceau de l’Agence nationale de renseignement (ANR). Jusqu’à présent, l’accusation n’a pas été en mesure de prouver ces allégations devant la cour, et l’expert chargé d’authentifier la note s’est retiré en janvier, invoquant des problèmes d’équipement.
En novembre, Reporters sans frontières (RSF) a publié les résultats de son enquête, qui a conclu que le mémo était authentique « même si [elle] ne [peut] pas juger de la véracité de son contenu ». Quelques semaines plus tard, l’enquête du consortium de médias Congo Hold-Up a mis en évidence de graves incohérences dans les affirmations de l’accusation. Celle-ci avait affirmé que Stanis Bujakera avait reçu la note sur un compte Telegram et qu’il avait été la première personne à la partager sur WhatsApp. Le consortium de médias a rapporté que les deux entreprises de réseaux sociaux leur ont cependant confirmé qu’il n’était pas possible de retracer l’expéditeur initial d’un message et qu’il était donc impossible de parvenir à une telle conclusion, d’un point de vue technique.
Le 12 janvier, lors de la dernière audience, il a également été révélé que les signatures présentées par l’ANR et par le procureur étaient différentes, affaiblissant encore plus l’argument du procureur selon lequel la note serait un faux.
« Comment peut-on expliquer que le ministère public présente un spécimen de signature qu’il prétend provenir de l’ANR, alors que l’administrateur général de l’ANR en a déposé un totalement différent ? » a déclaré à Human Rights Watch Patient Ligodi, journaliste et directeur d’Actualité.cd. « Qui, entre les deux parties, ne dit pas la vérité ? Nous savons que Stanis Bujakera n’a pas fabriqué ce document. Ils le savent aussi, mais ils ont décidé de le maintenir en détention, au mépris de la justice et de la vérité. »
Le dossier apparemment entaché d’irrégularités intenté contre Stanis Bujakera fait suite à la disparition, le 12 juillet 2023, de Chérubin Okende, député et porte-parole du parti d’opposition Ensemble pour la République. Il a été retrouvé mort, avec des blessures par balle, dans sa voiture à Kinshasa le lendemain. Bien que le gouvernement ait dénoncé un « assassinat » et mis en place une commission d’enquête, les circonstances du meurtre de Chérubin Okende n’ont toujours pas été élucidées. Plus de six mois plus tard, la famille affirme qu’elle va finalement demander la restitution du corps à la morgue pour l’enterrer, bien qu’elle n’ait pas été autorisée à consulter le rapport d’autopsie.
Le harcèlement judiciaire contre Stanis Bujakera ne fait que souligner davantage le manque de transparence dans l’enquête sur la mort de Chérubin Okende, a déclaré Human Rights Watch.
Le tribunal a refusé à plusieurs reprises la mise en liberté provisoire de Stanis Bujakera, ignorant ainsi les normes internationales en la matière et le tollé suscité par son maintien en détention. RSF a saisi le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Fin septembre 2023, des dizaines de journalistes ont manifesté à Kinshasa, appelant les autorités à libérer le journaliste et à mettre fin aux attaques contre la presse. Des activistes de toute l’Afrique, des hauts fonctionnaires étrangers, des groupes de défense de la liberté de la presse et des célébrités internationales ont condamné l’arrestation et la détention de Stanis Bujakera.
S’exprimant sur Radio France Internationale (RFI) et France 24 en novembre, le président Félix Tshisekedi a déclaré n’avoir rien à voir avec cette affaire mais a ajouté : « En même temps, j’ai aussi besoin de savoir … pourquoi a-t-on voulu faussement attribuer aux services de renseignement la responsabilité de la mort de Chérubin ? » Félix Tshisekedi a ensuite laissé entendre qu’il pourrait accorder à Stanis Bujakera « une amnistie, une grâce ou que sais-je » s’il était condamné.
Le 12 janvier, une centaine d’écrivains, de journalistes, d’artistes et d’activistes ont cosigné une tribune demandant au président Tshisekedi de « [mettre] fin à cette incarcération, sans attendre la fin de cette procédure inique ».
« La détention de Stanis Bujakera rappelle froidement que la promesse du président Tshisekedi de faire des médias un véritable ‘quatrième pouvoir’ est bien lointaine », a déclaré Thomas Fessy. « Une démocratie respectueuse des droits n’emprisonne pas les journalistes pour avoir fait leur travail, et le début du second mandat de Félix Tshisekedi est l’occasion de repartir sur de meilleures bases, notamment en mettant immédiatement fin à la persécution de de Stanis Bujakera. »