Débâcle de la SNCC: faits et vérités historiques

Débâcle de la SNCC: faits et vérités historiques

Le 7 octobre, jour du dépôt de sa candidature à la présidentielle de décembre 2023, le président sortant, Félix Tshisekedi, a ciblé l’un de ses principaux challengers, Moïse Katumbi, l’accusant sans le nommer d’avoir tué la Société nationale de chemin de fer du Congo -SNCC. «Il y a des gens qui veulent postuler comme président qui ont dirigé cette province -Katanga- et qui n’ont pas été capables de faire reluire la SNCC. Au contraire, ils l’ont même tuée», a dit le président candidat.

Un professeur à l’Université de Lubumbashi et ancien cadre chez Merzario, société devancière dans le secteur de transport routier entre l’ex-Zaïre et l’Afrique australe, a tenu, sous le sceau de l’anonymat, contexte politique oblige, à recadrer les choses et rétablir les vérités historiques sur la vie de la SNCC. «J’interviens pour empêcher que des générations entières soient induites en erreur», a-t-il justifié, faisant une leçon d’histoire et recommandant à quiconque d’interroger l’abondante publication sur les dates clés de la marche de cette entreprise étatique.

D’entrée, le professeur a souligné avec force que «la SNCC est, aux termes de la Loi n°74/027 du 02 Décembre 1974 telle que complétée et modifiée en 1995 et 2002, une entreprise publique, relevant des tutelles administrative du ministère du Portefeuille et technique du ministère des Transports. Un gouverneur de province ne saurait être mêlé à sa gestion ni tenu pour responsable de sa déconfiture».

A l’en croire, la SNCC, jadis opérationnelle dans sept provinces et épine dorsale de l’économie du pays, a connu ses premières difficultés avec la fermeture, en août 1975, du chemin de fer de Benguela, alors principale voie de sortie des minerais du Katanga vers Lobito en Angola, sur la côte atlantique, à cause de la guerre civile angolaise qui entraîna l’arrêt de l’exploitation. Katumbi a 11 ans!

Outre la fermeture du chemin de fer de Benguela, il a évoqué le manque d’un plan de réinvestissement des bénéfices engrangés pendant les jours fastes de l’entreprise. «L’argent généré vers les années 1972-1978 par l’exploitation pendant la période de vache grasse, caractérisée par l’expansion de l’entreprise publique avec 180 locomotives, 200 voitures et 200 wagons, n’a pas été réinvesti au renouvellement du charroi et du réseau ferroviaire long de 3641 km mais aujourd’hui en mauvais état et à l’origine d’une série de déraillements meurtriers», a dit le professeur, rappelant le pertinent constat fait par l’ancien ministre des Transports Justin Kalumba, le mercredi 13 mai 2015 au cours d’une plénière du Sénat présidée par Léon Kengo wa Dondo et renvoyant les sceptiques aux archives de la chambre haute du Parlement.

Enfin, l’enseignant est aussi d’avis que la faillite, à partir de 1984, de la Gécamines, principale cliente de la SNCC, a également été pour beaucoup dans l’effondrement de cette dernière. En cette année 1984, la tonne de cuivre chute à moins de 2000 dollars sur le marché mondial alors que la Gécamines produit pour 3200 dollars la tonne.

«L’opérateur public et pivot de l’économie nationale travaille à perte. Il ne sait plus financer Inga, Regideso ou SNCC. Parallèlement, les rails, qui nécessitent des corrections et des réfections tous les 30 ans, n’ont jamais connu une cure de jouvence depuis l’époque coloniale.

Grève cassée et 3 mois de salaire liquidés pour le compte du gouvernement central

À partir de 1985, parce qu’elle doit exporter sa production en baisse la Gécamines fait recours aux premières sociétés routières, notamment Merzario. Katumbi a à peine 21 ans.

Merzario comptait dans son actionnariat d’illustres personnalités de la 2ème République. Entre autres Niwa Mobutu dont les intérêts étaient représentés par un certain Georges Bundu te Litho, lui-même actionnaire dans la boîte; Kunda Bobozo ou Teddy Kinsala, représenté par son frère Richard Kinsala. Un certain Lufuilu Nandongosi gérait la Direction de l’Audit de cette entreprise dont les véhicules de marque «Iveco» garnissaient le charroi.

En 2009, deux ans après l’arrivée de Katumbi aux commandes du Katanga, le personnel de la SNCC était dans une série de grèves. Ministre du Portefeuille à l’époque, Jeanine Mabunda, la même, était prise en otage à Likasi par les grévistes. «Le gouverneur Katumbi a dû intervenir pour que la ministre soit libérée. Il a en même temps négocié avec les syndicalistes pour payer une somme destinée à liquider trois mois de salaire et, en appui au gouvernement central. Il a tenu parole quelques semaines plus tard quand son gouvernement a décaissé 6 millions de dollars au profit de l’entreprise, en plus de deux sacs de farine de maïs par employé. Il y aura, plus tard, un financement de la Banque mondiale à hauteur de 221 millions de dollars, obtenus entre autres grâce au plaidoyer du gouverneur. Quand l’Angola a rétabli le chemin de fer jusqu’à Dilolo, le gouverneur Katumbi a construit un poste douanier pour le compte de la douane afin de renforcer le contrôle des minerais évacués par route et destinés à l’exportation. Le mal était tellement profond que les difficultés de la SNCC ont persisté et persistent. Et c’est pas à un tel gouverneur, qui a montré autant de volonté et secouru le Pouvoir central, qu’on ferait un procès aujourd’hui», a témoigné, pour sa part, un ancien de la SNCC, forcé de toujours attendre sa retraite.

A ces difficultés s’ajoutent des problèmes techniques réels basés sur l’incompatibilité des écartements entre les rails du chemin de fer de SNCC et ceux de la Zambie et l’Afrique du Sud, qui empêchent les locomotives de la SNCC de rouler sur les réseaux zambien et sud-africain et d’aider à perfuser les finances de l’entreprise.

Ces facteurs mis ensemble expliquent mieux la descente aux enfers de la SNCC et la naissance des sociétés privées de transport des minerais par route dont les promoteurs contribuent, au demeurant, à créer les emplois et paient taxes et impôts dus à l’Etat.

Moralité: un gouverneur de province n’est pas responsable de la santé d’une entreprise publique. Ce n’est pas à lui que l’Etat devrait laisser la charge de la gestion de la SNCC ou de reconstruction de son réseau vétuste, des missions exclusivement dévolues au Pouvoir central.

Tino MABADA

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