Victimes de discours de haine : Moïse Katumbi et Alassane Ouattara, même destin ?(Tribune)
Depuis le début de la campagne électorale pour la présidentielle du 20 décembre prochain, le discours de Félix Tshisekedi se fonde principalement sur la dénonciation des ‘‘candidats des étrangers’’, présentés comme des ennemis du pays. Prononcé souvent en Lingala, le concept ‘‘Ba candidats ya ba bapaya’’, se traduirait tout aussi bien en Français par ‘‘des candidats étrangers’’. C’est du reste ainsi que l’opinion, pro et anti Tshisekedi le perçoit. C’est aussi cela que les plénipotentiaires du chef de l’Etat sortant explicitent auprès du petit peuple chaque fois que l’occasion leur en est donnée.
Ainsi, à titre d’exemple – et on est très loin d’être exhaustif –, le conseiller principal de Félix Tshisekedi en charge des infrastructures, M. Mukeba, a déclaré à Mbuji-Mayi, que «jamais un étranger ne devait diriger ce pays». Pendant le même temps, à Kinshasa, Jean Pierre Bemba, vice-Premier ministre et ministre de la Défense, que nul n’a vu sur le théâtre des opérations en ce jour où la localité de Mushaki, à 15 Km de Goma, est tombée entre les mains des rebelles du M23, se donne en spectacle, en accusant Moïse Katumbi d’être zambien pour le simple fait qu’il aurait détenu un passeport diplomatique de ce pays pendant ses années d’exil. La palme revient à Augustin Kabuya Tshilumba, le secrétaire général de l’UDPS, le parti du président Félix Tshisekedi, qui, à Tshikapa, a parlé ainsi du président d’Ensemble : «c’est un blanc, un étranger», allusion au fait que Moïse Katumbi est un métis né d’un père grec.
Il faut dire que, officiellement parti de la gauche social-démocrate, l’UDPS s’est toujours acoquiné avec le discours d’extrême-droite, tressant à volonté des nationalités étrangères aux adversaires politiques. Ainsi, du vivant d’Etienne Tshisekedi, le père de l’actuel chef de l’Etat, Mobutu fut traité de centrafricain, Joseph Kabila et Vital Kamerhe – alors secrétaire général du PPRD, le parti de Kabila – de rwandais. Avec Félix Tshisekedi, c’est au tour du médecin et prix Nobel de la paix, Dénis Mukwege, d’être fait burundais, et Martin Fayulu camerounais le matin, et sénégalais le soir. «A ce rythme, ce sont les Baluba du Kasaï seuls qui seront congolais dans ce pays», se plaint un observateur.
Effectivement, aux yeux de tous ces chantres du discours identitaire fanatisés à souhait, seul le président Félix Tshisekedi serait le parfait ‘‘Muana mboka’’, le vrai fils du pays en Lingala, le congolais 100%. Pourtant, et c’est de notoriété publique, le président congolais est d’origine angolaise par sa mère qui est née d’un père venu de l’Angola voisine.
Cette rhétorique haineuse surréaliste et dangereuse qui menace les fondements même du Congo en tant que nation dans un pays aussi fragile, n’a suscité, pour le moment, aucune condamnation d’aucune organisation de défense des droits de l’Homme. Les deux plus grandes organisations congolaises du secteur, l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho) autant que l’Association pour l’accès à la justice (ACAJ), sont aux abonnés absents. Faut-il le rappeler : les deux ONG sont respectivement dirigées par Jean Claude Katende et Georges Kapiamba, tous deux originaires de la même province que le chef de l’Etat.
Sans conteste, le pays rappelle la Côte d’ivoire des années 90 et 2000. Empoisonné par le venin de l’ivoirité, ce pays d’Afrique de l’ouest, naguère ilot de prospérité, s’était installé dans un chaos généralisé avant de sombrer dans la guerre. Au centre des enjeux : la contestation de la nationalité d’un acteur majeur de la scène politique : l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Si l’on met de côté le parcours professionnel – haut cadre dirigeant des institutions financières internationales pour l’un et homme d’affaires pour l’autre – il existe quand-même de nombreuses similitudes entre le président actuel de Côte d’ivoire et l’ancien gouverneur du Katanga.
Ouattara et Katumbi ont exercé de hautes fonctions étatiques dans leurs pays respectifs par le passé, avant d’être ensuite contestés par leurs adversaires : Premier ministre pour le premier, et gouverneur du Katanga, la province la plus riche du Congo, pour le second. Les deux sont issus de familles parmi les plus illustres de leurs pays respectifs : la famille Ouattara descend de l’empereur Sékou Ouattara, fondateur de l’empire de Kong, qui était situé entre le nord de la Côte d’ivoire et le sud du Burkina Faso ; et Katumbi appartient à la famille Msiri, fondateur et roi du royaume des Bayeke de Garaganze, le plus puissant de cette partie de l’Afrique lors de la pénétration européenne au Congo à la fin du 19ème siècle.
Résistant à la colonisation, Msiri Mwenda Shitambi Ngelengwa fut assassiné par le commandant belge Bodson, qui sera à son tour tué par des soldats du roi.Au moment où l’on contestait la nationalité ivoirienne d’Alassane Ouattara en Côte d’ivoire, son frère aîné, Gaoussou Ouattara, occupait des hautes fonctions dans l’Etat – vice-président de l’Assemblée nationale – et était le chef traditionnel de Kong. Il en est de même pour Moïse Katumbi : sa mère, Virginie Mwenda, était la nièce de Godefroid Mwenda Munongo, le puissant ministre de l’Intérieur du Katanga indépendant en 1960, puis du gouvernement congolais de 1964 à 1965. Le roi actuel des Bayeke, Godefroid Mwenda Kaneranera Munongo, qui est en même temps sénateur et président de l’Alliance nationale des chefs traditionnelles du Congo, est son oncle, et la députée Dominique Munongo sa tante.
Pour peu, on entendrait résonner sur cette RDC la voix d’Alassane Ouattara lors du Forum national pour la réconciliation, organisé en octobre 2001 à Abidjan. «Dans l’exercice de mes fonctions à la BCEAO, un passeport diplomatique m’a été délivré par la Haute Volta. Tout le monde sait que le passeport diplomatique n’est pas un acte d’identité. Il peut être délivré par un état souverain à des étrangers dans l’exercice d’une fonction. Ainsi, en Côte d’Ivoire, de très nombreux étrangers, Français, Angolais, Sud-Africains, Maliens … en bénéficient légalement. Par ailleurs, d’autres ivoiriens, et non des moindres, ont utilisé comme documents de voyage des passeports diplomatiques burkinabè ou togolais. Tout le monde le sait et pour ceux-là, personne ne se pose de questions», déclarait celui qui n’était alors que le président du parti d’opposition Rassemblement des républicains, RDR.
Les autres ivoiriens auxquels il faisait allusion ne sont autres que ses deux prédécesseurs Laurent Gbagbo qui, alors opposant, s’était rendu en France avec un passeport diplomatique burkinabè ; et Henry Konan Bédié, qui n’avait pu joindre la France après son renversement en décembre 1999 que grâce à un passeport diplomatique togolais. Au Congo, Jean Pierre Bemba et ses compagnons du Mouvement de libération du Congo, ont eu recours à des passeports diplomatiques ougandais pendant leurs cinq années de rébellion pour pouvoir se déplacer. Mais cela ne semble émouvoir personne.
Il y a trois ans, lors d’un débat sur la chaîne Perfect TV, le journaliste Eric Wemba déclarait : «Moïse Katumbi m’a toujours fait penser à Alassane Ouattara. Toute la persécution dont il a été victime n’a pas empêché qu’il soit aujourd’hui président de la Côte d’Ivoire. Si le destin avait décidé que Katumbi devienne président de ce pays, il le deviendra, malgré toutes ces persécutions». Alors, Alassane Ouattara et Moïse Katumbi, même destin ? C’est aux Congolais de répondre, dans les urnes, le 20 décembre. MUYOMBA MTWALE